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Le frère Wilfrid Laurendeau décédait à l'hôpital de Saint-Jérôme le 17 janvier 1988. Une carrière remplie que la sienne, marquée au coin d'une vie religieuse montante et d'une continuité laborieuse exemplaire.
Le frère parvenait à maîtriser un tempérament plutôt impulsif et en arrivait à posséder ainsi son âme dans la paix. Ses petits yeux pétillaient d'intelligence et de malice, un rire sonore ponctuait sa conversation enjouée. Bref, un bon ouvrier, très personnel, qui exploita ses talents, remplit sa mission d'accomplir magnifiquement bien les petites choses.
À la fin d'une longue vie et d'une dernière maladie pénible, le regard de foi ne saurait voir qu'une moisson dorée engrangée dans les greniers du Seigneur.
Wilfrid Laurendeau naît à Saint-Cyrille-de-L'Islet le 1er novembre 1899, fils de Louis Laurendeau, cultivateur, et de Vitaline Saint-Pierre. Le dernier d'une famille de treize enfants; il n'a que onze ans à la mort de son père. Sa mère, une courageuse femme, rejoint quatre de ses fils déménagés à Montréal, achète une maison pour y garder des pensionnaires. Wilfrid termine ses études à l'école Adélard-Langevin dans le quartier Hochelaga. Un cours inachevé puisqu'à quinze ans, il quitte l'école pour aider sa mère à subvenir aux besoins de la famille.
L'ouvrage ne manque pas dans le quartier de l'Est montréalais. Wilfrid travaille successivement dans une manufacture de chaussures, une fabrique de cigares et, enfin, cinq ans durant, dans une ferronnerie à titre de commis-comptable.
Le jeune ouvrier continue à lire, à se cultiver, fréquente la section locale de l'Association catholique de la jeunesse canadienne-française avec son frère Adélard. Il suit des cours de piano jusqu'à l'obtention de son diplôme de lauréat.
Les notes révèlent qu'il connaissait quelques Oblats et certains ouvrages sur notre Congrégation. Au témoignage de l'un de ses proches, une retraite paroissiale prêchée par un père rédemptoriste éveilla en lui l'idée de la vie religieuse.
La grâce fit le reste; à l'âge de trente et un ans, il s'oriente vers la vie religieuse. Une vocation réfléchie car il commence à se tailler une belle place dans le monde, étant même devenu l'organiste d'une paroisse montréalaise.
La formation d'un frère coadjuteur oblat comporte une période de postulat d'une durée habituelle de six mois. Durant ce temps le jeune homme participe aux exercices religieux, expérimente la vie commune et s'adonne à des travaux selon ses aptitudes. Wilfrid entre au postulat de Chambly-Bassin le 23 octobre 1930, poursuit sa formation jusqu'au 21 avril 1931. À cette date, il prend l'habit religieux à titre de novice.
C'est un homme mûr qui possède l'expérience d'une quinzaine d'années dans le monde. Les formateurs profitèrent d'une occasion pour lui montrer leur confiance. Le provincial de la province Saint-Jean-Baptiste de Lowell, Mass., se met en communication avec son homologue de Montréal. Il requiert les services d'un organiste capable d'initier un jeune religieux aux rudiments de cet art. C'est ainsi que le 2 décembre 1931, Wilfrid Laurendeau, encore novice, se rend au noviciat oblat franco-américain à Hudson, N.H. Il se plaît dans son nouveau milieu et s'acquitte honorablement de sa tâche. Les deux maîtres des novices se consultent sur le sérieux de la vocation du frère Laurendeau. Le père Pierre Pépin, de Ville La Salle, rédige un rapport favorable du frère Laurendeau. Un sujet admis à l'unanimité. Il émet ses premiers voeux à Hudson, le 23 avril 1932.
À la fin, son séjour de dix mois aux États-Unis lui semble long; il reviendra dans la province Canada-est le 14 février 1933 et recevra son obédience pour le juniorat de Chambly le 20 février 1933 à titre d'infirmier. Le frère s'enracine dans la vie oblate: il renouvelle deux fois ses voeux d'un an et prononce ses voeux de trois ans le 21 avril 1935.
Ici se place une année de séjour au sanatorium de SainteAgathe-des-Monts d'avril 1936 à avril 1937. Guéri de la tuberculose, il reçoit son obédience pour le noviciat de Ville La Salle le 8 décembre 1937. Le 23 avril 1938 il y prononce ses voeux perpétuels. Ses supérieurs sont unanimes à louer le bon esprit de ce sujet d'élite: "il aime la vie de communauté. Parfois spontané et un peu raide dans ses conversations mais il est bien accepté des autres... ce sujet naturellement sensible et vif se maîtrise bien." Comme l'écrivait le rédacteur des Nouvelles oblates annonçant son décès: "Le frère Laurendeau fut un homme déterminé, sans détour, strict, sans artifice et obéissant." Le religieux oblat est donc prêt pour une magnifique carrière au service de la Congrégation.
Avant de devenir profès perpétuel, le frère Laurendeau avait travaillé au juniorat de Chambly et au noviciat de Ville La Salle. Il restera cinq ans au noviciat de Ville La Salle, chargé des tâches de secrétaire, d'infirmier et d'organiste. Voilà qu'on requiert ses services pour Richelieu. Son obédience date du 15 août 1942. Il remplit les mêmes fonctions qu'au noviciat de Ville La Salle. Dix années de travail ne se résument pas. Il s'agit d'être au poste, de tenir le coup, d'acquérir de l'expérience, de pratiquer les petites vertus qui font des grandes âmes. Le frère Laurendeau s'enracinait à Richelieu. Comme on le sait disponible, il reçoit une obédience pour le scolasticat Saint-Joseph à Ottawa, le 24 août 1952. Ses assignations sont pratiquement les mêmes qu'à Richelieu. Il s'initie à la photographie. Après deux ans au scolasticat Saint-Joseph, le voilà de retour dans la vallée du Richelieu. Il s'installe à Rougemont le 14 juin 1954 et collabore avec les formateurs oblats en charge des aspirants frères coadjuteurs. La santé flanche à nouveau: après treize jours d'hôpital, il passera six mois à Sainte-Agathe-des-Monts. La convalescence se poursuivra à la paroisse de Maniwaki pour laquelle il reçoit une obédience le 4 novembre 1957. Il aide tout de même le portier et l'économe.
Il semble maintenant tout à fait rétabli pour recevoir, le 14 juillet 1958, une obédience à la paroisse Immaculée-Conception de Rouyn. Le Provincial croit bon souligner les avantages du nouveau poste: "Le presbytère est neuf, bien organisé, avec des religieuses à la cuisine". Le frère y sera bien et jouira "de l'air du Nord". Le frère, habitué à vivre dans des communautés nombreuses apprécie tout de même sa nouvelle obédience.
À cette époque, les Oblats oeuvraient au collège classique de Rouyn et aux retraites fermées de la même ville. En tout, une bonne quarantaine de confrères oblats.
Il passera neuf ans à cette paroisse occupant ses fonctions habituelles: portier, secrétaire, sacristain et organiste. La paroisse Sacré-Coeur à Noranda sollicitera deux ans ses services d'organiste. En dépit de ses nombreuses occupations, le frère Laurendeau se réserve du temps pour travailler à la généalogie de sa famille. Il entrait alors dans le vaste courant de retour aux sources. Au cours des années 1960 et 1970, de nombreuses familles fêtèrent le tricentenaire de l'arrivée de leur ancêtre en terre d'Amérique.
Comme tout chercheur honnête, il se met en contact avec les curés, dépositaires des registres paroissiaux; il rejoint par correspondance les nombreux Laurendeau disséminés aux pays, voire aux États-Unis.
En novembre 1964, il écrit au provincial du temps, le père Jean-Charles Laframboise pour les autorisations préalables à la publication de son ouvrage. Ce dernier lui indique la procédure à suivre.
Le frère a ainsi travaillé une vingtaine d'années à l'oeuvre de généalogie qui lui est chère. Alors paraîtront deux forts volumes: six cents pages dactylographiées et imprimées sur baudruches: Les familles Laurendeau et La famille Laurendeau-Saint-Pierre. Ces ouvrages avaient nécessité un nombre incalculable de recherches et de compilations avant la rédaction.
La famille Laurendeau se montre reconnaissante à l'endroit du frère Wilfrid. En quittant les siens pour la vie religieuse, le frère Laurendeau était éminemment resté proche de sa grande famille.
En avril 1964, une maladie pulmonaire. Le médecin lui prescrit un repos de trois mois après lequel il revient à Rouyn.
Le 12 mai 1966, mourait à Ottawa, son frère le chanoine Adélard Laurendeau, curé de Fabre. Un grand deuil pour Wilfrid, car ce frère s'était montré son grand ami et confident.
Les années avançaient. A soixante-huit ans, le 4 septembre 1967, il reçoit sa dernière obédience de vie active pour la grande maison de Richelieu.
Encore dix-huit ans de travail consciencieux surtout à la grande bibliothèque aménagée dans de nouveaux locaux. Pensons au neuf à cinq du fonctionnaire, ou mieux, au travail de bénédictin classant des milliers de volumes selon un système facilement accessible. Le frère se surpasse dans cette tâche. S'ajoutent le tri et la distribution du courrier et la fonction d'organiste jusqu'à ses toutes dernières années. Au cours de cette période s'effectue une importante réforme de structure à Richelieu. La grande communauté, en mars 1973, se fractionne en quatre fraternités ou communautés juridiquement constituées. Le frère Laurendeau possède, certes, ses idées sur ce changement radical et ne manqua pas d'exprimer ses opinions.
La vie religieuse et professionnelle continue à s'épanouir dans ce nouveau milieu d'autant plus qu'il reste attaché à la communauté Mazenod, la plus adaptée à sa mentalité.
Il convient de s'étendre quelque peu sur sa carrière d'organiste identifiée à toute sa vie religieuse. Le frère Laurendeau possédait une âme d'artiste spontanément accordée au beau, à l'ordre et à l'harmonie. Rien en lui de vulgaire ni de débraillé. Avant son entrée chez les oblats, il avait acquis les bases de la culture musicale. La leçon de piano coûtait alors un dollar! c'est dire qu'il exploita pleinement les notions théoriques et pratiques en s'adonnant à de longs exercices sur son piano personnel. Une fois entré chez les Oblats, il sera organiste toute sa vie à l'exception des dernières années. La culture musicale s'enrichit et son goût s'affine. Durant quelques années, la guitare envahit le sanctuaire jusqu'à réduire l'orgue à la portion congrue. Wilfrid Laurendeau, organiste chevronné, souffrit de la chose. Il exprima dans son testament, qu'en accord avec sa parenté, l'orgue devait être le seul instrument à se faire entendre à ses funérailles. Un point qui dénote jusqu'où allait ses convictions en ce domaine.
Le frère Laurendeau assistait volontiers aux concerts et aux films musicaux. Il fallait le voir sur son trente-six quitter Richelieu pour les grands événements artistiques dans la métropole. Des heures durant, il se plongeait avec délices dans l'univers de la musique.
Les confrères appréciaient unanimement ses services d'organiste. A l'occasion de ses noces d'or de vie religieuse, le 23 avril 1982, il voulut se faire photographier à la console de l'orgue de la chapelle, à Richelieu. Au verso de la photo, un beau texte de Jeanne L'Archevêque-Duguay qu'il avait personnellement choisi: "L'organiste est un consacré: celui qui captera les ondes du ciel pour les transmettre, par le pouvoir de l'harmonie aux âmes humaines. Un mystique traduisait sa méditation par les sons; les paroles liturgiques émeuvent l'esprit attentif, mais la musique atteint au plus profond de l'être, là où l'on est tout près de goûter le bon Dieu."
Lors de son appel aux voeux perpétuels, le père Victor-Marie Villeneuve écrit à son sujet "qu'il est très pieux, régulier et dévoué, très attaché à sa vocation, sérieusement appliqué à sa perfection religieuse, très bon sujet". Les années qui suivirent ne démentiront pas ce jugement et ces espérances. La fidélité à sa donation au Christ et à l'Église passait avant ses occupations professionnelles ou, pour mieux dire, les fécondait.
Son dossier personnel intime comporte des notes très édifiantes. Le religieux s'examine sur la pratique des ses voeux, s'interrogeant sur certaines attaches personnelles trop humaines.
Il s'engage à contrôler davantage les tendances à présumer des permissions dans le domaine de la pauvreté. Le frère Laurendeau, ayant travaillé quinze ans dans le monde, avait amassé un certain capital. Ses supérieurs l'autorisèrent à constituer cette somme en une sorte de patrimoine dont il percevait les intérêts. Dans ce contexte, l'on comprend que la pratique de la pauvreté oblate exigeait de sa part un véritable esprit évangélique de détachement.
L'on s'édifie de son désir de perfection dans le domaine délicat de la chasteté. Il se confie à la Sainte Vierge et lui consacre une pratique quotidienne de mortification; il recourt fréquemment à la confession, l'assimilant à la configuration progressive de son âme à la passion du christ.
Le voeu et la pratique de l'obéissance fourniront d'amples occasions de conformer sa volonté à celle du christ. Les événements indiquent souvent la voie étroite. Ajoutons la vie commune et les relations avec ses supérieurs. Ainsi il avoue franchement sa préférence pour les communautés nombreuses. Des notes personnelles révèlent qu'il n'a pas pris racine dans une maison où il habite depuis deux ans: "J'ai subi mon sort mais j'étais content d'accepter l'offre que me faisait le Provincial d'aller au prépostulat de Rougemont." Cette obédience lui fut plutôt éprouvante. La Providence vint à sa rescousse: une maladie l'obligea à quitter cette maison sans trop de regret.
Le frère n'était pas un innovateur à jet continu; il ne manquait pas cependant d'initiative, s'acquittant avec une grande conscience professionnelle des multiples tâches de sa vie active.
Le frère Laurendeau se permit un voyage bien mérité dans l'Ouest canadien en 1972. En 1973 il exprime le désir d'entreprendre le voyage-pèlerinage d'Europe. Le père Aurélien Giguère, provincial, en lui accordant la permission écrit: "Je profite de cette lettre pour vous remercier pour les nombreux services que vous rendez encore à la Congrégation. Je n'ai pas eu l'occasion de le dire souvent, mais il me fait plaisir de le faire ici."
Le voyage-pèlerinage organisé par le père Lionel Montour durera presque un mois, du 24 mai au 21 juin 1973. Vingt personnes en faisaient partie" dont cinq oblats.
Le frère Laurendeau rédige son journal de voyage quotidiennement. Un modèle du genre, précis, agréable à lire. Il enrichit sa culture personnelle par des recherches sur les lieux à visiter. Ainsi le 25 mai, à Amsterdam, il apprécie un concert d'orgue: du Bach, Homilius, Wallond, Beethoven et Widor. Il note, par ailleurs, que le 30 mai, le concert d'orgue à Munich ne dure qu'une heure et quart... Le 4 juin, à Assise, visite de la basilique Saint-François. Un véritable émerveillement. Il décrira longuement la vie du Poverello, sa conversion à vingt-deux ans, son influence incalculable, ses lieux spirituels avec Claire d'Assise. Il en sera ainsi pour tous les hauts lieux de la spiritualité chrétienne. À Rome, il admire la basilique Sainte-Marie-Majeure; le 6 juin, une émouvante audience avec Paul VI. Il apprécie l'hospitalité oblate de la maison générale, l'accueil chaleureux du supérieur général, le père Fernand Jetté.
L'itinéraire se poursuit: Florence, Gênes, Marseille, le sanctuaire de La galette, Grenoble, Lyon, Ars. Il deviendrait fastidieux de rapporter même l'essentiel de son journal quotidien. Le frère admire, s'édifie, tout en gardant son sens critique. La basilique de Lisieux lui plaît. La maison bourgeoise des Buissonnets ne l'impressionne guère, d'autant plus qu'on y doit accéder par une longue ruelle. Le frère, ce jour-là, devait en avoir plein les jambes . . .
Le 21 juin, départ de Paris à 10h00 pour Orly et arrivée à Montréal à 15h50. Le frère note que les voyageurs ont couché dans quinze hôtels différents en vingt-sept jours. Le religieux de soixante-quatorze ans dut apprécier le lit familier de Richelieu!
Le travailleur infatigable poursuit sa tâche avec une admirable constance. Les forces diminuent graduellement. En juillet 1985, le frère Laurendeau exprima le désir de s'en aller à Sainte-Agathe-des-Monts. Le père Gilles Comeau, vicaire provincial, le rencontre à Richelieu. Le 30 juillet 1985, il écrit au père Jean Laperrière, supérieur à Sainte-Agathe-des-Monts: "Le frère Laurendeau a quatre-vingt-cinq ans. Sa santé a faibli récemment. Globalement, on peut dire qu'il est simplement un homme vieilli, usé." Le père Laperrière accueillera volontiers le frère Laurendeau.
Ce dernier reçoit donc une obédience pour Sainte-Agathe-des-Monts le 15 août 1985. Dès lors, ses forces physiques baissent progressivement, sans souffrance apparente. Une forte surdité le coupe des conversations. Ses forces lui permettent encore de se promener dans la maison, sur les galeries même si la reconnaissance de lieux lui devient. pénible. On écrit de. lui: "Il était docile, souriant et priant... un malade reconnaissant qui vit une belle vieillesse sans trop de souffrance." Les événements se précipitent. .Le 19 décembre 1987, il fait une chute près de son lit; transporté à l'hôpital de Saint-Jérôme, il subit une intervention chirurgicale le lendemain. On le garde à l'hôpital. Des complications surviennent et il décède le dimanche, 17 janvier 1988. La dépouille mortelle fut exposée à la résidence de Richelieu le 19 janvier et les funérailles se déroulèrent le 20 janvier 1988, célébrées par le père Victor Simard, vicaire provincial. Le père Raymond Allard, son ancien supérieur à Richelieu, prononça l'homélie. L'inhumation suivit au cimetière oblat de Richelieu.
Devant une si longue vie complètement donnée au service de Dieu et de ses frères, les paroles de saint Paul viennent à la mémoire: "J'ai combattu le bon combat jusqu'au bout. J'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi." Que soit donnée à notre cher frère Laurendeau l'éternelle couronne de gloire!
Gaston Morissette, o.m.i.
Outremont, Qc
Novembre 1989
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Au nom de mes ancêtres, je vous dis merci de votre visite